La technique du vidéo-roman
Pour vos films de voyage
02 avril 2014 par Thierry Philippon
Comme beaucoup d'amateurs d'images, je voyage et emporte un "appareil à filmer". Comme beaucoup, j’ai expérimenté le genre communément nommé « film de vacances ». Mais au fil des « projections » (terme désuet qui me plait bien), j'ai toujours observé une certaine passivité des spectateurs devant l’écran. La linéarité du récit vidéo - à la différence des photos sur papier - est un début d'explication. Mais il existe surtout je crois comme une inadéquation entre l’attente d'un public « familial » et l’histoire que vous racontez. Là où l’auditoire attend des tranches de voyage montrant des moments de vie de vous-même, voire des pitreries, et des choses spectaculaires, vous leur servez un film documenté à contre-courant du "selfie", où on ne vous voit pas une seule seconde (puisque vous êtes aux commandes de la caméra) et un regard sur un pays que vos spectateurs ne connaissent pas forcément. J'ai bien tenté d'intégrer les voyageurs que nous sommes dans le voyage, en filmant ma compagne, ou en exploitant la technique de l'auto-filmage sur trépied (l'ancêtre du selfie !). :) Mais je suis vite parvenu aux limites du genre. Et un montage prend tant de temps qu'il faut être sûr du public avec lequel on souhaite le partager. Cette réflexion progressive au fil des ans m’a conduit, plutôt que de renier mes convictions, à ne pas m’obstiner à montrer des films qui ne correspondent pas à l’attente du public familial. Mais de faire des films d’abord pour soi, ou pour ceux directement impliqués dans l'aventure. Désormais, je n’imposerais à personne de voir mes films, le public les verraient uniquement par une démarche volontaire : la diffusion sur le Web répond à cette idée puisque le spectateur potentiel reste libre de voir ou de ne pas voir un film. Il peut même s’arrêter quand il veut ! Et reprendre plus tard. Ou pas. Seulement voilà, il faut trouver de bonnes idées, pas trop longues, car sur le Web, dépasser 20 minutes, c’est risqué... Alors justement, je vous propose une idée pour vous extraire de la masse (et de la nasse). Il s'agit de construire son film en s'appuyant sur un ouvrage littéraire, c'est ce que j'ai appelé la technique du vidéo-roman. J'ai appliqué avec délectation cette idée lors d'un voyage sur le sol indien. Suivez le "guide" si ça vous dit. |
S'inspirer d'un ouvrage pour faire son film
L’idée de cet article est donc illustrée par le film Inspirations à Kolkata que vous pouvez découvrir en cliquant sur l'onglet Vidéo. A la base, il s’agit d’un reportage presque classique sur la ville de Kolkata en Inde. Pour aller plus loin, j'ai cherché à faire reposer le film sur les extraits d'un ouvrage - "Fantômes à Calcutta" (*) - extraits utilisés à la fois comme fil conducteur des images mais aussi comme texte pour la voix off du film. Le résultat a donné naissance à un documentaire de 15 minutes. Les avantages à réaliser un tel film paraissent évidents en termes d'originalité, mais l'exercice est naturellement plus laborieux à réaliser (laborieux au sens de "travail") qu'avec un film classique. Aussi voici mes recommandations pour y parvenir, en procédant par étapes : (*) Ecrit par Sébastien Ortiz (*) qui a vécu et travaillé à Calcutta à trois reprises, à plusieurs années d'intervalle. La diffusion a été permise avec l'accord gracieux de l'auteur, et de l'éditeur, Arléa, que je remercie vivement. Les images introductives sont extraites de la méconnue mais passionnante série "En analyse", série distribuée par HBO, qui ont été reproduites ici au titre du droit de Citation. |
1) La première étape consiste à trouver un ouvrage qui « colle » le plus possible au lieu visité. Facile ? Oui et non. Imaginons une ville. Autant vous éprouverez peu de difficulté à dégoter des dizaines d’ouvrages « documentaires » sur Paris, Madrid ou New York. Autant la tâche sera plus ardue si vous cherchez des écrits en français sur Thiruvananthapuram en Inde ! Par exemple, j'ai visité Hanoi, ville pourtant très connue du Nord Vietnam, en raison de son passé historique tumultueux. Or j’ai éprouvé d’assez grosses difficultés pour trouver un ouvrage en français qu corresponde à ma recherche. Mais rassurez-vous. En parcourant les publications sur d'autres villes touristiques, prises au hasard, je suis arrivé à la conclusion que cet « exercice de style est transposable à beaucoup d’autres (grandes) villes, et même probablement à d’autres lieux qui ne soient pas des villes (une région, une île, un site, un lieu sacré, etc.). A chaque fois, on peut obtenir un film enrichi de l’apport d'un récit écrit. |
Si vous êtes courageux ou très savant, l’extension de vos recherches aux livres en langue anglaise (ou espagnole si le pays s'y prête) élargira considérablement le spectre. Mais à moins d'être bilingue, on se limitera au français pour un usage amateur. En français, distinguez deux cas. Pour fantômes à Calcutta la recherche était presque facile puisque c'est la saisie du terme "Calcutta" qui nous a conduit à l'ouvrage dont il est question. Mais saisir le nom du lieu peut ne pas suffire si le titre n'intègre pas ce nom, cas plus fréquent qu'on ne croit ! Il faut donc bien chercher en utilisant des requêtes. Voir à ce sujet cet article expliquant la manière d'utiliser efficacement les moteurs de recherche.
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2) Deuxième étape, s'assurer que l’ouvrage est suffisamment descriptif comme c'était le cas avec le livre de mon exemple Fantômes à Calcutta. Le souci de trouver un ouvrage suffisamment descriptif a son importance car ce sont les descriptions sur lesquelles votre film va s'édifier. Plus les descriptions seront précises, plus il sera facile de filmer des images s'y rapportant. De plus, les ouvrages très descriptifs sont majoritairement écrits par des gens qui ont vécu sur place, ou qui sont revenus à de nombreuses reprises sur les lieux. Ils ont donc un regard qui peut vous servir de guide, à la façon d’un guide touristique. La différence : le guide touristique est là pour vous apporter des renseignements pratiques alors que le guide « littéraire » aura pour vocation de distiller des informations d’un tout autre ordre : historique, culturelle, social, etc. Mais comment sentir si l'ouvrage aura les descriptions nécessaires ? On peut éventuellement se fier au résumé de l'éditeur. Consulter l'ouvrage est l'idéal. C'est possible dans une librairie physique (type FNAC ou Cultura) mais le choix d'ouvrages est moins vaste. Sur Internet, les éditeurs prenant peu à peu conscience que la décision d'achat dépend de la lecture de quelques pages, proposent désormais des extraits dématérialisés en pdf ou en Flash. Ca permet de se faire une première idée. |
3) La troisième étape est de repérer dans l'ouvrage les lieux cités. Soit il s'agit de lieux célèbres sur lesquels l'auteur articule son récit, soit il s'agit de lieux méconnus et la lecture de l'ouvrage vous permettra de les découvrir, en vous aidant certainement d'internet. Une fois "sur place" avec votre caméra, vous pouvez enfin filmer ! La réussite de la juxtaposition entre les écrits de l’auteur et vos images va dépendre évidemment de plusieurs facteurs : la nature du lieu (précis et évident ou diffus), son degré de conservation (les lieux peuvent avoir changé), les possibilités d’accès (le lieu est tout simplement trop loin) et les imprévus (vous ne trouvez pas le lieu, il est interdit ou imprudent de filmer). Je me souviens du temple Meenakshi dans le Tamil Nadu, un vrai chef d'oeuvre de l'art dravidien que j’avais imaginé pouvoir filmer sous toutes les coutures. Mais quand je suis arrivé, des bâches géantes venaient juste de recouvrir les façades principales en vue d'une rénovation gigantesque ! |
La 4e et quasi dernière étape est que la qualité descriptive du livre, voire sa qualité littéraire, devraient vous permettre de juxtaposer votre voix off sur la plupart des scènes de votre film. Il y a de fortes chances que les images et le texte "collent" puisque l'ouvrage vous aura servi d'inspiration visuelle. Ainsi le cimetière présent dans Inspiration à Kolkata était tel que l’auteur l'avait décrit avec ses mots à lui. Il m'a donc été facile de juxtaposer mes propres images électroniques aux images mentales du narrateur.
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Toutefois l'aventure n'a pas été simple à tout moments. Des idées peuvent aussi venir après avoir filmé. Ainsi la description du mendiant hagard aux 2/3 du film m'intéressait mais elle ne correspondait à aucune image pertinente. Il m’a fallu beaucoup chercher et me souvenir vaguement d'un homme qui passait dans le champ. J'ai rusé en ralentissant la scène, permettant d'accentuer l'attention du spectateur sur ce personnage. C'est de la "mise en scène" après coup, je le reconnais mais j'étais vraiment coincé sur cet exemple. Heureusement, vous n'êtes pas toujours obligé de coller le texte aux images. Libre à vous d'insérer quelques images prétexte sur des extraits s'y rapportant vaguement. C'est le cas au début du film où j'évoque l'histoire de la création du nom "Kolkata" en plaquant des images de travelling dans les rues de Kolkata. Toutefois je me dirige vraiment vers le fleuve Hooghly dont il est question ! Pour finir, attention bien évidemment aux droits d'auteur si vous diffusez votre film hors du cercle privé, par exemple sur le Web. Je vous conseille de demander l'autorisation à l'auteur ou à l'éditeur, les refus sont rares, mais l'acceptation peut prendre du temps, ne prévoyez pas une réaction du jour au lendemain ! Et si vous réussissez à faire un tel film, envoyez-le moi, je vous promets de le regarder, et peut-être de le diffuser ! A bon entendeur... |