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Tourner un documentaire avec l'Eos 5D Mark III

(interview)

 

29 janvier 2015 par Jérôme Huguenin-Virchaux (auteur) / Thierry Philippon (entretien)

 

etpae du papillon

Voici un documentaire doublement original. D'abord par sa thématique. Dans l’Etape du papillon, c'est "L'Ecole maternelle comme vous ne l'avez jamais vue". Le spectateur partage la vie de la classe de Nadia, professeure des écoles en Bourgogne, et de ses jeunes élèves de 3-4 ans, du tout premier jour d’école jusqu’aux vacances d’été. Une immersion dans un lieu un peu « secret », où les enfants se socialisent et vont découvrir pour la toute première fois le plaisir d’apprendre...


Eos 5F Mark III

La singularité du film s'exprime aussi par la façon dont ce documentaire de 52' a été tourné puisqu'à l'exception de quelques scènes, c'est un Canon Eos 5D Mark III qui a filmé l'essentiel des 80 heures de rushes ! Son réalisateur, Jérôme Huguenin-Virchaux, a bien voulu répondre aux nombreuses questions qui ont jailli du visionnage.


Plus d’informations sur le film à cette adresse : http://www.etape-du-papillon.com


L’Etape du papillon sera aussi diffusé sur Mirabelle TV à partir du 7 février 2015.


Le site de Jérôme Huguenin-Virchaux



> LIRE LA SUITE : L'Équipement

L'Équipement


Canon Eos 5D mark III
images : © Jérôme Huguenin-Virchaux / Smelly Dog Films

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Magazinevideo : De quel matériel (caméra, optiques) et accessoires disposiez-vous pour le tournage de l’Etape du papillon ?

Jérôme Huguenin-Virchaux : J’ai quasiment tout filmé avec un Canon 5D Mark III, acheté lors de sa sortie à la fin du printemps 2012. En optique, j’avais chez Canon un 17-40mm f/4, un 50mm f/1.4, un 24-70mm f/2.8 version II, et en longue focale un 70-200mm f/4 stabilisé, avec un extender x2 (très utile en récréation). En extérieur, lors de sorties scolaires, j’utilisais un filtre neutre vissant Fader ND de chez Lightcraft, qui me permettait d’avoir des diaphragmes très ouverts, même avec un soleil prononcé.


Pour des moments d’interviews plus "posées", j’ai utilisé une Sony PMW-F3 avec la très belle série compact prime 2 de chez Zeiss en 25,35,50 et 85mn. La F3 était reliée à un enregistreur AJA Ki pro mini pour avoir un encodage en 4.2.2 au lieu du 4.2.0 initial (cartes S by S). La F3 était montée avec un Follow focus, accompagné d’une mattebox.


persil

MV : Pourquoi avenir choisi un DSLR plutôt qu’une bonne vieille caméra classique ?

J.H-V. : On peut considérer qu’il y a eu trois révolutions dans les moyens de tournage.
La première - que je n’ai pas connue - a accompagné la nouvelle vague : c’était l’innovation de nouvelles techniques, la légèreté des caméras, leur côté silencieux. Cela a offert aux réalisateurs une liberté des mouvements de caméra, de nouvelles possibilités de mise en scène. Quand on revoit A bout de souffle de Jean-Luc Godard en 2015, quel film moderne qui n’a pas vieilli ! Pouvoir tourner en extérieur, en plan-séquence… La manière de produire les films avait changé…


Vers le début des années 90, pour avoir une qualité d’image Broadcast, le ticket d’entrée pour obtenir une caméra professionnelle comme la Sony UVW 100 en Betacam SP valait environ 20.000 euros, soit une somme inabordable pour un amateur / semi-pro.


Pour contourner cette difficulté d’acquérir ou de louer ce matériel à un prix élevé par jour, les petites structures audiovisuelles ont eu la chance de voir l’arrivée du format DV (en 1994), qui avait comme énorme avantage d’amoindrir cette frontière entre l’amateur et le professionnel, avec une belle qualité d’image. Il devenait possible de filmer en DV, en caméra de poing légère et de faire ensuite le montage en Betacam SP.


Avoir en même temps la légèreté et la qualité sur du matériel abordable financièrement, devenait une deuxième révolution. Au cinéma, certains tournaient en DV, et passaient les images en kinescopage super 35mn, comme plusieurs films de Lars Von Triers (je pense aux Idiots).


Mais le monde de la vidéo n’est pas le monde du cinéma. Pour tenter d’obtenir une image “pellicule”, on est passé par beaucoup de subterfuges…Soit on appliquait un très léger effet “strobe” aux images pour donner une cadence voulant imiter les 24 images par seconde, soit on utilisait des effets de traitement d’image au montage plus au moins probants, sans parler des kits cine mini 35 (possibilité de placer des optiques photos sur des capteurs de camescope), en ayant comme inconvénients d’avoir des pertes de lumières, sans parler d’aberrations optiques fortes.


Et puis comme beaucoup de personnes, je suis tombé en admiration sur le film de Vincent Laforet, Rêverie, en 2009. C’était incroyable d’arriver à une image tellement cinématographique avec un boîtier si petit (le Canon 5D mark II).


J’ai suivi alors une des premières formations à l’INA sur le tournage en reflex, en ne sachant pas précisément sur quel film cela avait me servir, mais c’est à ce moment là que j’ai compris que la révolution reflex était en marche…


Toutes ces années d’attente de rendus “cinéma” avec du matériel vidéo étaient balayées par la joie de voir arriver ce type de matériel, ouvrant de nouvelles perspectives...


Canon Eos 5D

MV : Aviez-vous filmé précédemment d’autres réalisations avec un Eos 5D ?

J.H-V. : Oui, quelques films d’entreprises, mais très peu, seulement avec un Canon EOS 7D, avant de passer au plein format avec l’utilisation d’un 5D Mark II, avant d’acquérir la version III. Disons que j’ai fait beaucoup de tournages perso pour me faire la main, car les images étaient plus floues au début que nettes ! :)


MV : Quels sont les petits (ou gros) défauts de l’Eos 5D d’après votre expérience ?

J.H-V. : Sans aucun doute l’ergonomie, qui n’a pas été pensée pour un tournage vidéo, ce qui est parfaitement normal car il ne faut pas oublier qu’on reste sur un appareil photo ! Je ne sais pas si les ingénieurs de Canon ont été les premiers surpris de cette utilisation exponentielle du boîtier en vidéo ou bien si c’était un coup marketing prévu à l’avance…
Je pourrais citer aussi la surchauffe du boîtier, qui pouvait causer des interruptions d’enregistrement (problème disparu avec la version III du boitier). Enfin, la gestion du point est très délicate à grande ouverture de diaphragme.


MV : Et ses qualités ?

J.H-V. : Nombreuses !!!
La possibilité d’avoir une faible profondeur de champ avec le plein format, une maîtrise totale de l’image avec les optiques interchangeables, le côté robuste du boîtier, l’arrivée grâce à l’équipe de Magic lantern de firmwares alternatifs, permettant d’obtenir des outils spécialement dédiés à la vidéo, et surtout de pouvoir tourner en RAW, en évinçant la compression initiale du codec H264.
Je pense que c’est un boîtier excellent, qui aura marqué son époque.


Eos 5D

MV : Dans quel format et fréquence d’images avez-vous tourné L'Etape du Papillon ?

J.H-V. : J’ai tourné en 25p, en codec ALL-I (un codec moins destructif qui ne compresse qu’une image à la fois), et en full HD 1080p. Sur la fin du tournage, je tournais en RAW, avec Magic lantern. Je n’avais pas de coupure d’enregistrement car j’utilisais une carte rapide compact flash, mais j’angoissais toujours que cela arrive !


MV : Dans votre secteur ou votre entourage, constatez-vous plutôt un engouement ou de l’ostracisme vis-à-vis du tournage au reflex, jusqu’à ces derniers temps plus utilisé pour la fiction ou le clip vidéo ?

J.H-V. : Cela dépend dans quel milieu j’interviens :
Dans le secteur du film d’entreprise dans lequel j’interviens comme réalisateur pour des sociétés de productions, c’est sans hésiter une méfiance de la part des clients, même si on explique que plusieurs long métrages ont été faits avec ce type de matériel !


Je fais être franc : un client en film entreprise veut en avoir “pour son argent”, que ce soit au tournage avec une caméra imposante (quelquefois non full HD), ou bien en montage avec des effets “qui en jettent”. Le client ne veut pas voir arriver un cadreur avec du matériel similaire à ce qu’il peut avoir en usage personnel.


Le contexte de crise qui s’éternise, la réduction de budget sur les films font où l’on parle avant de tout de prix, de ligne sur un devis, alors que le plus important selon moi, c’est la capacité humaine a comprendre l’objectif du client et à le mettre en image, à faire des choix de réalisation.


Fort heureusement, ce n’est pas une généralité : a contrario, c’est agréable de sentir que des clients font confiance au réalisateur, quel que soit le matériel utilisé.


Avec mon association Smelly Dog Films, nous faisons essentiellement des films dans le secteur artistique (Arts de la rue, Musiques actuelles, Arts du cirque, etc), et là le boitier reflex en vidéo rassurent les “commanditaires”, car ces metteurs en scène, ces musiciens voient avant tout la discrétion du matériel comme un avantage, un effacement de la présence du cadreur dans le public surtout lors de déambulations.


MV : Trouvez-vous plus difficile de tourner avec un reflex par rapport à une caméra classique ?

J.H-V. : Oui, c’est plus contraignant, cela demande plus de réflexion, et lorsqu’on me demande d’aller vite, je suis moins réactif. Je dois changer de focale suivant ce qui se passe, et il y a toujours la crainte de rater le plan !
Par contre on est récompensé avec une très belle image. Tout ceci s’équilibre donc, les aspects négatifs et positifs.


PDC

MV : Avez-vous cherché particulièrement à jouer avec la PDC (Profondeur de Champ) pour accentuer l’effet photo ?

J.H-V. : Oui, avant de faire ce film, j’avais vu beaucoup de documentaires sur l’enfance, sur des enfants en maternelle, beaucoup sur France 5, ils étaient très intéressants par rapport au contenu, mais très journalistique dans leur angle d’approche. De mon côté, j’ai réalisé que je voulais aller à l’opposé en terme de style d’image, de montage. Je voulais bien sûr moi aussi aborder les méthodes d’apprentissage de l’enseignante, Nadia Grandrey, mais il ne fallait pas que cela se retrouve au coeur du film.


J’ai plutôt privilégié des situations inédites que rencontrent les enfants, apprendre à dormir en collectivité lors de la sieste, savoir s’habiller tout seul. Il y a donc des difficultés, que nous adultes, avons oubliées. Je voulais qu’à travers ce documentaire, le spectateur retourne en quelque sorte en enfance, à un âge où il ne reste quasiment aucun souvenir (3/4 ans). La faible profondeur de champ était primordiale car le flou très prononcé sur les plans d’enfants permettait de les placer dans un univers visuel détaché de la réalité que nous vivons, adultes.


J’ai tourné le premier jour de cantine des enfants. Ils découvraient un lieu inconnu, avec un brouhaha permanent. J’ai vu des enfants complètement perdus, leurs regards essayaient de se raccrocher à quelque chose de tangible. Dans cet exemple, j’ai ouvert mon diaphragme à fond, et j’avais une zone de netteté infime. Les enfants ont l’impression d’être dans une sorte de bulle. Au fur à mesure que le film progresse, les enfants sont filmés différemment, plus en grand-angle, il y a une sorte de libération visuelle.


etape du papillon

MV : En choisissant une image « film », souhaitiez-vous donner un aspect un peu narratif, fictionnel, à votre documentaire, à l’image de la voix imaginaire de la narratrice où vous faites « parler l’école »… ? Ou souhaitiez-vous être plus discret avec un DSLR ?

J.H-V. : Très jeune, je voulais réaliser des fictions, c’était mon rêve. Et puis j’ai eu l’occasion de réaliser quelques courts-métrages en fiction (très modestes), et récemment j’étais assistant réalisateur dans une grosse équipe de tournage, nous avions participé au concept du film en 48h. J’ai réalisé que je n’étais pas du tout fait pour la fiction, je ne me sens pas à l’aise. Par contre, j’adore sur ces tournages l’expérience partagée, les relations humaines. Mais je n’aime pas du tout l’attente pour faire quelquefois un plan, l’installation de la lumière, les “mécaniques” (répétition de la scène sans la tourner). Et puis je suis rarement inspiré pour savoir où mettre la caméra en fiction lorsque je réalise, sans parler de diriger les acteurs !


Quand je fais un documentaire, je cherche une configuration de tournage hyper-réduite: sur l’Etape du Papillon, j’étais seul à 90 %. Je porte un casque fermé, et je suis très concentré sur ce que je filme, j’imagine le montage en même temps que je tourne. On dirait un vrai ermite ! Et sur la réalisation en documentaire, je donne toujours un côté fictionnel, j’adore avant tout raconter une histoire à partir de faits réels.


Etape du papillon

MV : Votre documentaire montre beaucoup de visages d’enfants et d’adultes. Avez-vous travaillé (au tournage et / ou au montage) le rendu des teintes chair avec l’Eos 5D ? Avez-vous utilisé des profils d’image particuliers ?

J.H-V. : J’ai tout tourné le film en mode “flat” , c’est-à-dire en mode le plus neutre possible, afin d’avoir le plus de marge possible en étalonnage. C’était avec le profil cinestyle de Technicolor. A un moment de la production, il fallait faire un choix de dépense entre plusieurs choses : j’ai préféré faire l’étalonnage moi-même sous Final Cut Pro X, pour plutôt développer avec un infographiste 2D/3D un générique de fin, sorte de dessin animé reprenant les travaux sur papier accomplis par les enfants durant l’année scolaire.


Sous Final Cut Pro x, j’ai utilisé différents plugs in, CineLook for HDSLR’s  de chez Color Granding qui permet en quelques clics d’avoir une courbe en « S » (S curve) permettant de travailler les noirs et les blancs de manière simple. J’ai utilisé aussi le classique Magic Bullet Looks de chez Red Giant avec des réglages personnalisés, bâtis sur la base du réglage Warm Spot focus. Avec les plans RAW du 5D mark III, je suis passé par DA VINCI version légère, pour traiter les DNG.


J’ai poussé un peu plus la saturation que d’habitude sur ce documentaire, car je me suis dit que cela allait bien avec le monde des 3/4 ans : ils avaient souvent des habits très colorés, aux couleurs vives, leurs travaux en classe offraient une grande palette de couleurs, c’était formidable en colorimétrie ! Il n’y a pas eu de travail particulier sur les teintes chair des visages ou autre.


MV : Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées pour ce tournage (pour celles liées au Canon Eos 5D) ?

J.H-V. : Quelquefois des événements très intéressants se passaient sous mes yeux, et je n’avais pas la bonne optique sur mon DSLR ! Le temps de changer l’optique, c’était fini. Et comme mon parti pris était de ne pas faire refaire les gestes, de ne pas introduire de la mise en scène (à part pour les ITW et la fin du film), je ratais le plan. C’est sans doute pour ça que j’ai eu beaucoup de rushes sur ce tournage…


Et puis en plein format, c’est une gestion du point permanente, les enfants sont très vifs, c’était quelquefois difficile de suivre ces derniers (surtout en récréation). Mais à la longue, au cours du tournage, je les connaissais de mieux en mieux, j’arrivais quelquefois à anticiper leurs réactions en classe, ou bien leurs déplacements en récréation.


tout sourire

Et puis il y a eu la fin du film, qui est un long plan au ralenti d’une enfant qui sort de l’école, toute souriante. J’avais prévenu la maman et sa fille que j’allais me positionner loin de la porte de sortie de l’école et qu’en longue focale, j’allais tenter de la suivre avec un léger panoramique, afin de faire une sortie de champ. On a refait le plan car j’étais gêné par des parents qui passaient à un moment devant la caméra. Et puis il y a eu un moment magique, le soleil s’est levé, il y a eu une belle lumière naturelle qui faisait un “contre” sur sa chevelure, Joséphine s’est mise à sautiller, en abordant un grand sourire (ni sa mère, ni moi ne lui avons dit de faire ça), et c’est à ce moment-là que j’ai eu des sueurs froides pour faire le rattrapage de mise à point sur son arrivée !


MV : Vous êtes passé (depuis ce tournage) du Canon Eos 5D Mark III au Lumix GH4 : qu’est-ce qui a motivé ce choix qui implique un changement complet de matériel et d’optiques ?

J.H-V. : Il y a eu plusieurs raisons, je me suis aperçu tout d’abord qu’avec les sociétés pour lesquelles je travaille comme réalisateur, le principal mode de diffusion pour les clients est internet, au maximum en 720p. Je me suis senti sur-équipé, avec aussi des difficulté à louer mon ensemble 5D, à un moment où les budgets de films de commande fondent comme neige au soleil.


Le GH4 est vraiment tourné vers la vidéo avec des fonctions adéquates : peaking, zebra, mire de barre, etc.. Magic lantern n’était pas fiable à 100% sur le 5D mark III (pour avoir avoir le RAW il fallait utiliser des version pré-alpha), cela restait toujours un firmware alternatif, non officiel. J’ai retrouvé avec le GH4 le plaisir de manipuler un reflex un peu comme une petite caméra, surtout avec l’écran orientable.


Et puis sur le boitier de Panasonic, j’apprécie la légèreté du matériel, le côté compact. Faire une journée de tournage en baroudant avec ce matériel dans un sac à dos est appréciable, comparé au poids assez conséquent des optiques Canon. On n’a tout de même pas la même qualité d’image que le plein format, surtout en basse lumière, où le 5D mark III est très bon.


Je dis souvent pour plaisanter que j’ai divorcé de mon 5D Mark III pour un Panasonic GH4, mais j’y pense de temps en temps secrètement la nuit :)


MV : Comment avez-vous effectué les prises de son ?

J.H-V. : En interview (enfants, enseignante) j’avais un ingénieur du son. Sinon la plupart du temps, l’enseignante avait un micro HF caché sur elle, et sur mon 5D j’avais un micro canon Audiotechnica AT 897, relié à une mixette audio Sounddevice, la Mixpre-d (qui a de très bon amplis). Cette petite mixette était mise dans une banane, et une sortie adaptée avec la bonne impédance retournait en entrée ligne dans le DSLR. Je faisais une sécurité de recording avec un petit zoom également. Lors du tournage, nous avons essayé avec un preneur de son de percher, là le son était bien sûr excellent, mais les enfants ne regardaient que la bonnette à poils qu’ils prenaient pour une peluche ! On perdait tout le côté naturel des enfants. On a donc laissé tomber l’idée.


J’ai préféré sur ce documentaire peut-être avoir un son moins bon qu’avec les règles de l’art, mais j’ai gagné en captation de moments sincères.


PMW-F3

MV : Vous avez aussi utilisé une Sony PMW-F3. Pourquoi ?

J.H-V. : J’avais fait une préparation de matériel avec cette caméra sur un projet de fiction, on devait mélanger les images avec un 5D mark III. J’ai vu à ce moment là que les images entre ces deux systèmes de tournage pouvaient se “matcher”, se raccorder assez facilement. Et puis j’avais entendu beaucoup de bien de la série d’optiques qu’on m’avait prêtée, la gamme Zeiss Compact Prime 2. C’est vrai que ces optiques fixes sont des petits bijoux !


rail

MV : Les plans sur rail du début du film ont été accomplis avec quel matériel ?

J.H-V. : Essentiellement avec un plateau constitué de rails de travelling de 6 mètres.
Il y avait un machino qui s’occupait de cela, mon directeur photo cadrait et il a fait la lumière. Je contrôlais le cadre et la vitesse du mouvement.

 


Sur le travelling latéral dans les vestiaires vides, je l’ai fait seul avec un slider motorisé, un autre jour. Tous ces travellings ont été tournés en RAW avec le 5D mark III, il fallait attendre pour vérifier les images, il y avait un temps de conversion nécessaire du fichier brut RAW en images DNG. J’avais installé dans une pièce de l’école non utilisée un ordinateur avec Da vinci version légère.


Pour finir de parler de la lumière rajoutée, c’est une des rares exceptions où il y en a eu (les travellings et les interviews), sinon j’utilisais la lumière naturelle de l’école.


grue

MV : Certains plans ont été effectués avec une grue, notamment un joli plan vers la fin à 43’40 (un second vers le début également). Vous pouvez nous en dire plus ?

J.H-V. : Oui c’était une grue avec une hauteur de 10 mètres, ici j’ai fait appel à la société Constance Production de Chalon-sur-Saône, spécialisée dans la machinerie/aérien autour du cinéma.


Il y avait quatre personnes qui géraient une grue ABC 120 avec tête robotisée pele 2D: deux assistants en sécurité, un opérateur manipulant le contre-poids de la grue, et un responsable, Christophe Henry, qui manipulait la tête à l’aide d’un joystick.


J’étais entouré de professionnels dans le domaine aérien, je leur accordais toute ma confiance pour réussir ces plans survolant les enfants en récréation. Au bout de 4/5 prises, les enfants ont oublié le matériel, et il y eu un long plan séquence assez magique où le 5D se rapprochent d’eux en partant d’une toiture.


Pas de difficulté particulière sur ces plans-là, si ce n’est de jouer avec le soleil quelquefois capricieux en Bourgogne.


MV : Avez-vous été restreint ou particulièrement prudent dans l’utilisation des panoramiques considérés comme plus difficiles sur un reflex ?

J.H-V. : En général je fais des plans assez lents, donc cela ne m’a pas gêné. Et puis entre le 5D mark II et le III, les ingénieurs de chez Canon ont bien amélioré le problème de rolling shutter. Il y a avait juste un moment dans le film où il y a une séquence de danse contemporaine, là les gestes des enfants sont très rapides. J’ai simplement augmenté la vitesse d’obturation (quitte à avoir des saccades !) , et j’ai fait quelquefois des ralentis à 50% à l’aide du plug in Twixtor de chez Re-vision effects.


MV : Votre équipement de post-prod (logiciel…)?

J.H-V. : Je suis fan de Final Cut Pro depuis sa sortie en 1998/1999, c’est tout naturellement que j’ai suivi sur la version X, devenu stable au fil du temps. En montage, mon macbook pro de 2010 était fâché avec les 2,5 To de la bibliothèque du mon documentaire, je l’ai donc vendu d’occasion pour acheter un macpro de 2013 dont je suis content.



(Tourner un documentaire avec l'Eos 5D Mark III )

La Réalisation

Etape du papillon

MV : Combien d’heures de rushes pour ce 52’ ?

J.H-V. : Environ 80 heures de rushes. A chaque fin de tournage, je montais un “ours”, un bout à bout, pré-montage que je communiquais également au directeur et à l’enseignante. La somme de ces pré-séquences faisait 24 heures d’images, j’ai travaillé dessus ensuite. C’est mon troisième documentaire, j’ai toujours eu beaucoup de rushes, même si j’accorde beaucoup d’importance au repérage en amont du tournage de documentaires, le montage c’est pour moi la troisième écriture après cette préparation, et plus j’ai de matière en image, plus je suis confiant pour la suite. Et comme je fais les images moi-même cela n’effraie pas le producteur, avec des coûts de personnel supplémentaire.


MV : Saviez-vous dès le départ que vous partiez pour ce formatage de 52’ ?

J.H-V. : Oui, c’était un format que je visais au minimum, mais je suis resté à des moments sur une idée d’environ 80 minutes. L’idée est peut-être toujours d’actualité si je parviens à trouver un distributeur cinéma qui pourrait le diffuser, même en faible quantité de copies.


MV : Comment vend-on à un diffuseur (ou un producteur) un sujet a priori pas très spectaculaire comme celui de la vie d’une classe de maternelle durant 1 an ?

J.H-V. : C’est le teaser qui a tout fait ! Je me suis inscrit à diverses formations organisées par l’Apaar (l'Association des producteurs audiovisuels Rhin-Rhône). Il y avait une session sur le pitch : apprendre à présenter son projet en peu de temps.


J’avais déjà monté un teaser/ trailer mais lors de cet atelier j’ai amélioré ma présentation orale, de manière à en dégager les points forts, les partis pris de réalisation, etc… C’est lors de cet atelier que j’ai rencontré Catherine Simeon, qui deviendra plus tard ma productrice sur le film avec la société Faites un voeu. A la suite de cette formation, j’ai rencontré plusieurs diffuseurs (même si le film n’était pas fini), et à un moment le Directeur de la chaîne Mirabelle TV a beaucoup accroché sur cette bande-annonce, sur l’ambiance qu’il y avait déjà dans celle-ci. Il y avait déjà cette idée de voix âgée qui racontait une histoire. L’Etape du Papillon, ce n’est pas un documentaire qui va révolutionner le genre de films sur la vie d’enfants en classe, mais je pense qu’il a un certain angle, un regard inédit.


MV : Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées pour ce tournage (en général) ?

J.H-V. : Au tournage, aucun problème, tout s’est très bien passé, le Directeur Philippe Loison et l’enseignante ont pris très à coeur le film, ils m’ont beaucoup facilité des aspects pratiques, comme simplement entreposer du matériel.
Cela paraît dérisoire, mais travailler dans de bonnes conditions de tournage, c’est important.


enfants

MV : Les enfants regardent peu, voire pas du tout la caméra. Comment parvient-on à se fondre dans une classe, surtout dès le 1er jour de classe ? Pensez-vous que les enfants sont finalement plus faciles à filmer de ce point de vue (moins distraits et obsédés par la présence d’une caméra) que des adultes ne le seraient… ?

J.H-V. : Les enfants étaient prévenus, les parents les avaient informés, et à trois ans ils comprennent beaucoup de choses ! Mais pour parler plus spécifiquement du premier jour de rentrée où il y avait beaucoup de pleurs, je crois qu’à ce moment-là c’est tellement difficile pour certains enfants de découvrir ce nouvel environnement que pour eux la caméra devient complètement secondaire voire absente, ils ne focalisent pas leur attention sur ça. Ensuite, peu de temps après la rentrée, nous avons, avec l’enseignante, fait avec les enfants des ateliers vidéo où ils ont pu découvrir mon matériel image et son. C’était important qu’ils se familiarisent avec tout ça, et sur les derniers ateliers, les enfants pouvaient filmer leur doudous (à l’aide d’une toute petite caméra), j’avais relié celle-ci à un petit écran et les autres enfants pouvaient voir le cadrage du “mini-opérateur” vidéo…
Et de manière générale, oui je pense que les enfants sont plus faciles à filmer, ils ne sont pas soucieux de l’image qu’ils peuvent renvoyer, ou bien s’il leur arrive de faire le pitre devant la caméra (là en récréation, c’était plus dans les 5/6 ans), c’est plus la situation inédite qui les amuse.


MV : Vos plans sont assez longs et lents, vous prenez le temps de laisser parler les images. Est-ce un rythme habituel dans vos réalisations ou était-ce une volonté spécifique à ce documentaire ? Le temps que vous laissez les enfants à l’image ne reflète-t-il pas finalement la façon dont on regarde et on écoute un enfant hors caméra : en prenant un peu de temps ?

J.H-V. : De manière générale, j’aime des plans lents, assez longs, cela me permet de jouer avec le cadre, avec des hors champ (visuels ou sonores), de laisser vivre les personnages. A l’extrême, j’adore “Chansons du deuxième étage” de Roy Andersson, qui ne doit être constitué d’après mes souvenirs que de quelques plans pour une durée de long-métrage ! Quand à votre interprétation sur la seconde question, je n’y avais pas pensé mais c’est tout à fait juste.


MV : Pour ce documentaire, pensez-vous avoir été influencé par la thématique d’autres films sur la vie d’une classe comme Etre et Avoir de Nicolas Philibert ou dans une moindre mesure, Entre les Murs, de Laurent Cantet, par exemple ?

J.H-V. : “Entre les murs”, je ne l’ai pas vu,mais “Etre et Avoir”, oui c’est un film que j’ai beaucoup aimé, mais c’était plus la belle relation entre cet instituteur et certains enfants qui était touchante, sa manière de leur parler, que la thématique sur la vie d’une classe qui m’avait plu à l’époque.


enfants

MV : Quand on a autant d’enfants à filmer, comment s’y prend-on d’un point de vue juridique (ou pratique) pour obtenir l’autorisation de l’Education nationale, des enseignants et des parents ? On se souvient que pour le film « Etre et avoir », le réalisateur a eu quelques difficultés après diffusion avec l’instituteur qui se revendiquait co-auteur du film (NDLR : il a été débouté).

J.H-V. : Il faut tout d’abord demander à l’Education Nationale, j’ai présenté mon projet à la Directrice Académique au Rectorat de la ville de Dijon, via le Directeur de l’école, Philippe Loison qui soutenait activement le projet. J’ai ensuite présenté le projet aux parents dont les enfants allaient bientôt rentrer en petite/moyenne section, lesquels ont tous signé les droits à l’image de leurs enfants. Si j’avais eu un ou deux refus, le tournage aurait été compliqué, je pense que je n’aurais pas fait le film, car j’aurais dû constamment surveiller mon cadre pour éviter le ou les enfants en question. Et je ne voulais pas flouter l’image, cela aurait donné un côté reportage TV, en opposition avec la structure fictionnelle que je voulais donner au film.


Je pense que ce qui a joué aussi pour avoir l’accord de tous les parents (et je ne les remercierai jamais assez de m’avoir accordé cette confiance), c’est que j’étais un parent d’élève au sein de l’école, et que l’année précédente, j’ai fait quelques images au cours de l’année avec l’accord du Directeur, le DVD étant offert aux parents.


Pour la décision de justice concernant l’instituteur, débouté, cela me paraît normal. Si cela n’avait pas été le cas concernant cette revendication en droit d’auteur, cela aurait voulu dire que toute personne filmée dans l’exercice de ses fonctions, deviendrait auteur, ce qui serait un cauchemar pour les documentaristes ! Cet instituteur n’a pas interprété un texte issu de son “oeuvre de l’esprit”, ce n’était pas un rôle créé par ses soins. Il s’est contenté de faire classe comme chaque jour, en ayant conscience qu’une caméra le suivait, après avoir donné au préalable par écrit son autorisation.


MV : Il y a des traits d’humour distillés de ci de là dans le film (les grosses bottes à 19.10 ou la longue réflexion de la petite fille suivie de la chute inattendue à 13.16 ou encore la clémentine à 41.55 !). Pensiez-vous d’emblée que ces traits d’humour ponctueraient le film ?

J.H-V. : Oui, je ne savais pas précisément ce qui allait être drôle avant de tourner, mais il fallait que des moments comme ceux là s’y trouvent. J’ai toujours voulu dès le départ un film divertissant, très positif. Ces passages illustrent avec humour leurs préoccupations quotidiennes, qui nous paraissent futiles pour nous adultes, mais qui dans leur univers d’enfants sont essentielles.


Nadia

MV : Comment avez-vous "choisi" Nadia, la professeure ?

J.H-V. : Nadia était tout simplement la maîtresse de mon fils aîné, lorsqu’il était en petite section, l’année précédant le tournage. J’ai beaucoup apprécié sa vision de l’apprentissage, qui doit selon elle se faire sans contrainte, dans le jeu, dans l’amusement, afin de “devenir élève”. Elle est d’une grande écoute comme enseignante auprès des enfants, et parallèlement elle est maître formateur, c’est à dire que parfois, elle accueille dans sa classe des étudiants de l’E.S.P.E. (Écoles Supérieures du Professorat et de l'Education, ex-IUFM)


MV : Nadia ou les autres intervenants ont-ils eu sur le moment des réactions particulières ou un étonnement lorsque vous les avez filmés avec un reflex ?

J.H-V. : Non, le monde de l’audiovisuel lui était étranger, mais elle ne fut pas surprise. Le directeur de l’école avait un Canon 7D, et il était familiarisé avec l’aspect vidéo de ces boitiers. On pouvait parler optique pendant le tournage, c’était très agréable !


MV : La parole des parents est pratiquement inexistante dans ce film, la priorité étant donnée à celle des enfants et de la professeure. Les parents ne se sont-ils pas sentis exclus du documentaire ?

J.H-V. : Cela traduit pour moi la réalité, il faut dire qu’en tant que parent, l’école maternelle est un milieu assez fermé, on a du mal à connaître les enjeux, les objectifs de celle-ci envers les enfants. Et puis il est rare que l’enfant raconte le soir ce qu’il a fait (je parle d’un enfant scolarisé entre 3 et 4 ans), alors que c’est très dense ! Ils font déjà du graphisme (par exemple les lignes qui serviront à construire les lettres-batons pour ce qui va devenir l’écriture), ils vont apprendre à compter, à se repérer dans le temps…


Filmer tout ceci était un privilège et les parents étaient ravis d’avoir des images, un souvenir de leur enfant pendant cette année scolaire… Ils attendent impatiemment la sortie du DVD, mais avant cela nous avons organisé avec la production une séance au cinéma pour que tous les enfants découvrent la version finale du documentaire sur grand écran.


etpa du papillon

MV : Votre documentaire présente un visage souriant, ludique, très positif d’une classe de maternelle durant 9 mois. Certains pourraient même dire « angélique ». Les moments difficiles sont très peu montrés (hormis quelques angoisses d’enfants, et un élève qui reste dans son monde). Etait-ce la réalité de ce que vous avez vu ou un parti pris de réalisation, voire un contre-pied aux méthodes d’enseignement souvent si décriées ?

J.H-V. : C’était la réalité que j’ai vue avec cette enseignante, avec la qualité des enseignements des autres professeurs dans cet école. J’ai vu des enfants souriants, heureux de venir à l’école. Dans un passage sur une interview que je n’ai pas gardé, je demandais à Nadia Gandrey quel meilleur souvenir elle gardait de ses années d’institutrice. Elle me répondit que le plus beau compliment qu’elle a eu indirectement, c’est lorsqu’un enfant a dit à ses parents qu’il adorait venir à l’école, car il se demandait ce qu’il allait découvrir dans la journée avec sa maîtresse… Cette anecdote traduit bien la (belle) volonté des enseignants de transmettre, avec un oeil bienveillant sur les progrès des enfants.


MV : Le personnel enseignant, les parents, ont-ils déjà vu le film et émis des remarques sur vos images ?

J.H-V. : Oui j’avais diffusé au cours du tournage deux ébauches de maquettes du film aux parents et aux enfants, pour qu’ils aient une idée de ce qu’allait être le résultat. Les parents attendaient impatiemment la suite car ils étaient étonnés de voir leur enfant en situation de classe, qui pouvait se comporter différemment qu’à la maison. Quant aux enfants, ils ont eu l’air d’apprécier, ils retrouvaient leur école et leurs copains à l’image, c’était quelque chose de familier pour eux.


MV : Votre film sera diffusé sur Mirabelle TV et sur DVD. Ce dernier contient des scènes coupées. Vous pouvez nous en parler davantage ?

J.H-V. : Les scènes coupées seront essentiellement des reliquats d’une version longue que j’avais imaginée à un moment. Il y a beaucoup de scènes que j’ai dû enlever au montage pour des questions de rythmes, auxquelles je suis attaché, elles verront donc le jour sur ce support DVD.


MV : Quelque chose à ajouter ?

J.H-V. : Pour finir, je voudrais remercier bien sûr les enfants qui ont participé au film, ainsi que toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce documentaire.


 


Voir le film : http://www.etape-du-papillon.com


generique


(Tourner un documentaire avec l'Eos 5D Mark III )

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